Avec la ferme conviction que les arts peuvent jouer un rôle en ces ères de changements climatiques, le projet Territoires entame le début de sa deuxième année de programmation et offrira une nouvelle création de théâtre de paysage au printemps 2025, mettant en vedette des récits d’oiseaux au centre d’enjeux environnementaux préoccupants. En ce jour de la biodiversité, je m’interroge sur les projets en Estrie qui favorisent la biodiversité. Parce que tout est dans tout, chaque geste que nous posons influence inévitablement la suite des événements. Dans cette dimension d’interdépendance, quelle est notre responsabilité individuelle?
Nos gestes et ceux des organismes, si petits soient-ils à l’échelle municipale, pèsent-ils dans la balance? Sauront-ils pallier à la diminution de plusieurs espèces d’oiseaux ? Dans un souhait de mieux comprendre le milieu naturel où vivent les oiseaux du projet Territoires, une petite balade au parc Atto Beaver de Lennoxville…
La biodiversité: on récapitule!
Pourquoi la biodiversité est-elle si importante? « La clé du succès de la vie sur terre, c’est la diversité, l’hétérogénéité. S’il arrive un changement quelconque, plus il y a d’espèces différentes, plus il y a des chances que la nature persiste. C’est super important. », mentionne Jean-François Lafond, biologiste et professeur au cégep de Sherbrooke dans la technique en bioécologie.
Lumière sur l’Estrie
Saviez-vous que l’Estrie est dominé par la forêt à 77%? De ce nombre, 90% du territoire appartient à des propriétaires privés. Alors, comment peut-on intervenir et rencontrer les objectifs de la COP15 dans ce contexte, d’autant plus que l’Estrie affiche un retard considérable, avec 8% d’aires protégées.
« La conservation à grande échelle est difficile, car le territoire est morcelé en Estrie, à moins d’être à la tête de Domtar et posséder beaucoup de terres. Les groupes de conservation sont très actifs dans notre région pour protéger des territoires appartenant à des particuliers; ils ont le vent dans les voiles! », souligne Jean-François Lafond.
Sensibiliser: un propriétaire à la fois
Les organismes Corridor appalachien et Nature Cantons-de-l’Est font un travail remarquable auprès des propriétaires. C’est au fil de discussions avec ces derniers qu’ils ont pu leur suggérer un amalgame de possibilités en matière d’options de conservation. L’objectif : conserver notre patrimoine estrien pour le mieux-être de toute la population. Parce que la nature nous fait exister. Parce que le coût de ses discussions dépassent largement la valeur monétaire.
« Les propriétés peuvent conserver leur statut de propriétaire, mais ils pourraient, par exemple, avoir certains avantages s’ils possèdent une réserve naturelle et s’engage à protéger leurs milieux selon la loi sur la conservation du patrimoine naturel. Une réduction des taxes ou impôts pourraient être possible. », mentionne Stéphane Tanguay, directeur de l’organisme Nature Cantons-de-l’Est.
Certaines clauses établies sont notariées; le territoire continue d’être protégé à travers le temps même s’il y a un changement de propriétaire.
“C’est notre raison d’être, notre ADN », ajoute Stéphane.
Les milieux humides: éléments naturels d’intérêt protégés par la législation
Pendant longtemps, les milieux humides ont été considérés comme des pertes. Par exemple, l’ancien stationnement de la Grenouillère, dont l’ancêtre était un énorme marais, jouait un rôle primordial dans les zones tampons à la confluence de la rivière Saint-François et la rivière Magog.
“Quand on regarde les cartes des municipalités, les milieux humides et les cours d’eau se retrouvent toujours sur la même carte qui se nomme « Contraintes au développement ». C’est un mot que j’essaie d’évacuer de mes rapports. » Voici plutôt: quels sont les éléments naturels d’intérêt protégés par la législation? Là, on est ailleurs…Ce n’est pas seulement ce qui nous empêche de construire, il y a une valeur à ça! On devrait changer le nom des cartes », affirme Jean-François Lafond.
Quelques projets en branle…
L’agrandissement du Bois Beckett
Le bois Beckett s’est officiellement agrandi de 25 hectares, lui donnant un accès supplémentaire. La ville de Sherbrooke et Nature Cantons-de-l’Est ont fait l’acquisition de ce territoire, appartenant anciennement à un particulier et comportant plusieurs milieux humides, des arbres de grandes tailles et 3 ruisseaux.


Lynx roux capté à la sortie 115 de l’autoroute 10, une semaine après la fin des travaux. Crédit photo : Corridor appalachien
Passages pour la faune sur l’autoroute 10
Des projets de corridors écologiques se développent dans la région. « Le plan de connectivité écologique-Autoroute 10 » est une initiative de l’organisme Corridor appalachien et de ses partenaires, qui ont réalisé une vaste étude d’analyse et de consultation depuis 2010. Ils permettent à la faune de traverser de façon plus sécuritaire sur le fil de l’autoroute 10 et de favoriser le déplacement de certaines espèces, pensons, notamment, à l’orignal, aux chevreuils, aux ours ou aux lynx du Canada.
Être accompagné pour mieux aménager son territoire
« De plus en plus, des gens commencent à nous approcher », mentionne Stéphane Tanguay. Nature Cantons-de-l’Est tente de préserver les habitats naturels en aidant les municipalités à aménager le territoire de façon appropriée. « On peut leur proposer des endroits à développer et ceux à ne pas développer du tout », affirme Stéphane.
« L’étalement urbain créé son lot de problèmes pour la biodiversité. Il faudrait instaurer des règlements municipaux pour protéger les milieux humides qui ont été identifiés. Il y a encore un gros travail à faire au niveau de la conscientisation. Les gens doivent comprendre que c’est important. », dit Jean-François Lafond.
Des contraintes à la biodiversité
Vouloir être « propre », une contrainte à la biodiversité
« Se battre contre la propreté, c’est l’apanage du biologiste », mentionne Jean-François, qui travaille également comme biologiste en travail autonome, et rencontre régulièrement des propriétaires.
Mais que veut-on dire par « propre »?
« Propre veut dire pas de végétation basse, pas d’arbustes, tout faire ça clean. Les souches par terre, on les enlève et on coupe pour nous permettre de voir loin entre les arbres. Malheureusement, c’est ça que beaucoup de gens veulent : du gazon jusqu’aux bornes. Pas trop d’arbres, de peur qu’ils tombent sur notre propriété. Pourtant, quand on arrive dans le quartier du vieux Nord de Sherbrooke, tout le monde est comme « Wow! ». On est frappé par la beauté du quartier, avec sa végétation abondante. Oui, ça arrive des branches sur les toits, mais ce n’est pas si fréquent. À cause de ça, les gens veulent garder la végétation ligneuse loin de leur maison. », souligne Jean-François.
Ce désir de propreté nous conduit vers une perte d’énergie considérable, notamment au niveau de l’électricité. Des quartiers résidentiels sont construits, mais peu d’arbres y sont plantés.
« Tout le monde a besoin de sa thermopompe, de son air climatisé, y’a plus rien que des îlots de chaleur partout. S’il y avait plus d’arbres, ils pourraient jouer leur rôle. », affirme Jean-François.
« Quant à notre façon de penser l’orientation géographique des constructions, nous devrions orienter les maisons vers le soleil, qu’elles soient tournées légèrement, et faire en sorte que la fenestration soit plein sud. Même si les gens n’ont pas la porte qui arrive sur la rue, ce n’est pas grave. », ajoute-t-il.
L’élargissement des sentiers en forêt: y mettre un terme!

Le parc Atto Beaver comporte plusieurs milieux humides et espèces susceptibles d’être désignée menacée ou vulnérable.
Au cours de notre balade, Jean-François s’arrête sur un arbre en bordure du sentier : le caryer ovale. Le caryer ovale est un arbre rare. Parce qu’on souhaitait élargir le sentier, un employé de la ville a dû l’abîmer, en faisant un énorme trou dedans, ne sachant pas que cette espèce était vulnérable.
Traditionnellement, les noix de cet arbre (semblable à la pacane) était une source importante de nourriture pour les Cherookees, qui s’en faisaient une soupe nutritive. On y trouve aussi le noyer cendré, espèce en voie de disparition.

“La piste cyclable n’arrête pas de s’élargir. Ici, on pourrait pratiquement y passer deux voitures et on est dans un parc. Au Mont Bellevue, c’est la même chose. C’est bien qu’il y ait plus de gens qui marchent depuis la pandémie; je comprends qu’on a besoin de large, mais large comment? On endommage la végétation. » dit Jean-François.
Les arbres fruitiers pour nourrir les oiseaux
Ce parc regorge également d’arbres fruitiers. Bon nombre d’oiseaux viennent à ce délicieux banquet. Le cerisier tardif en est l’un d’eux. Ses fleurs attirent les pollinisateurs à la fin du mois de juin, tandis que ses fruits (cerises noires juteuses) fournissent une source de nourriture pour les oiseaux et autres animaux sauvages, renforçant ainsi l’équilibre écologique. Il se reconnaît par son écorce très écailleuse d’un gris argenté foncé à noir.
Au passage, nous apercevons le grand pic. Son chant est semblable à un rire mélodieux. L’héronne joindra-t-elle à nouveau sa voix à l’orchestration de cette forêt, laissant ainsi planer l’espoir d’une résilience en ces ères de grands ajustements écologiques?
Les enjeux territoriaux à ciel ouvert
Le projet Territoires débutera sa programmation artistique sous peu. Restez à l’affût et suivez-nous sur les réseaux sociaux! Des activités citoyennes, gravitant autour de discussions, d’échanges, de rencontres sur les enjeux environnementaux, arrivent à grands pas : promenades, ateliers, conférences et opportunités de développement professionnel pour les artistes autour du théâtre de paysage.
Également, une formation en théâtre de paysage porté par le Conseil de la culture de l’Estrie les 24, 25 et 26 mai. Il reste encore des places disponibles! Cliquez ici.
« Dans l’oeil », exposition de Suzanne Brulotte
Avis aux intéressés
Enseignante et photographe renommée, Suzanne Brulotte a consacré une grande partie de sa vie à photographier les oiseaux. En 2017, elle a légué au Musée de la Nature et des sciences de Sherbrooke plus d’un million de photos. Un corridor lui est présentement dédié au premier étage, exposant la nature et la faune. Suzanne est également une membre horaire de la SLOE (Société de loisir ornithologique de l’Estrie).
Le premier dimanche du mois offre la possibilité d’un accès gratuit pour visiter ce musée.
