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Article initialement rédigé pour le site du Conseil de la Culture d’Estrie

« C’est la terre qui insuffle le pouvoir créatif. La boule qui flotte dans l’espace sur laquelle on vit, c’est la plus belle chose qui puisse exister. On serait mieux de l’honorer. » – Étienne Plante, finaliste

Le nouveau prix Art + Environnement :

Une discussion-causerie regroupant les trois finalistes

Qu’elle soit d’ordre artistique, social, philosophique ou encore, qu’elle s’insère dans le monde agricole, la question de la place de l’humain dans son environnement est un sujet de plus en plus présent au cœur de la conscience collective.  Les trois finalistes du Prix Art + Environnement 2023 se sont penchés sur leurs perspectives, autour du liant unissant ces deux mots : art et environnement. Une conversation toute en réflexion, avec le souhait d’un partage à la communauté, d’une ouverture et d’une recherche constante à l’innovation. 

Dans une discussion ressentie et pleine d’humanité, Faustine Escoffier, lauréate du prix, artiste émergente pluridisciplinaire, Nadia Loria Legris, finaliste, artiste interdisciplinaire, Étienne Plante, finaliste, artiste en arts visuels, et des représentantes de partenaires du prix, Hélène Blais (Conseil de la culture de l’Estrie), Amélie Lemay-Choquette (RURART – art contemporain en milieu rural), Kristelle Holliday (Théâtre des Petites Lanternes), se sont rassemblés au cours du mois de décembre dernier avec l’inspiration d’échanger sur leurs démarches artistiques en faisant ressortir leur vision commune : enrichir, rétablir la connexion, la relation au vivant, à ce qui nous entoure. « Quand j’ai fait un retour dans le monde artistique en 2016, je souhaitais revenir vers des actions écologiques. Sensibiliser les gens à créer un lien avec le vivant est à la base de ma pratique », mentionne Nadia Loria Legris. Engagée dans des luttes environnementales et sociales depuis l’adolescence, elle a choisi l’art interdisciplinaire pour interroger notre rapport au vivant. Elle y explore la finitude de nos ressources, la fragilité du vivant et la possibilité de recréer un lien avec celui-ci.

Quant à Faustine Escoffier, grande lauréate de la première édition du Prix Art + Environnement, elle s’intéresse aux plantes, à la cueillette sauvage et à l’herboristerie depuis fort longtemps. Ces disciplines ont enrichi sa compréhension du monde végétal. « C’est le contact au monde vivant qui m’intéresse, mais surtout, comment approfondir ce lien en moi-même pour ensuite le transmettre aux autres. » Étienne Plante provient du monde de l’ingénierie (ses sculptures sont d’ailleurs exposées en période estivale au cœur du nouvel aménagement paysager du Marché de la Gare de Sherbrooke). De fil en aiguille, il s’est découvert une fibre artistique. « Pour moi, c’est naturel de créer avec de la scrap, des déchets. Être capable de reconnaître la valeur de ces objets-là est intégré dans ma démarche. » Ce l’est également pour Nadia, qui explore la matière végétale mal aimée, perdue, jetée que nous engendrons dans la sphère domestique. « Je détourne la matière pour mieux la regarder changer et pour la photographier en tant qu’artefact, mais aussi, je la cultive, la dissèque, la morcelle, l’épluche, la fais bouillir, la déshydrate pour en observer le potentiel plastique et pigmentaire », mentionne-t-elle.

L’Estrie et leur communauté

Certains sont natifs de la région de l’Estrie, d’autres l’ont adoptée, charmés par les atouts de ce territoire. Ils ont décidé d’en faire leur lieu de prédilection pour continuer de faire grandir leurs observations, leurs explorations, leurs visions.

« L’environnement estrien est celui avec lequel je développe le lien le plus profond. J’habite, je travaille, je ris, je pleure en ces lieux. C’est aussi celui dont je connais le mieux les plantes », mentionne Faustine. Pour sa part, Étienne se dit déjà vendu à l’Estrie : « Il y a quelque chose de très fort dans la communauté. J’ai voyagé dans ma vie, mais je constate qu’en Estrie, il y a une proximité avec la nature. Tout le monde s’accorde pour dire à quel point c’est le fun de toujours avoir la nature à une quinzaine de minutes, même si tu vis en pleine ville. Cette espèce de cocon-nature est précieux. »

Une ligne directrice commune pour ces trois artistes : l’importance d’établir un lien avec leur communauté. Une partie intégrante, immanquable, un souffle pour leur travail artistique. « Si on se connaît, nous trois, c’est par notre travail avec la communauté. On s’est croisé dans des événements, on a participé à des trucs collectifs, communautaires », souligne Nadia Loria Legris. « L’importance d’établir le dialogue avec l’autre, de faire émerger un réseau et ces connexions multiples, cela enrichit notre humanité », ajoute Hélène Blais du Conseil de la culture de l’Estrie.

Faustine donne des ateliers créatifs et invite les participants à explorer le territoire. « Je suis émerveillée par les processus que je rencontre dans mon travail avec les plantes, et lorsque je constate ce même émerveillement dans les yeux d’un participant, ça fait vraiment du bien. » Le fait de semer des graines est palpitant. Démontrer à des gens qu’ils peuvent créer une corde en partant d’une tige qui pousse dans une friche, ou encore, fabriquer du papier ou des encres… « Il y a quelque chose de tellement puissant et politique à reprendre possession de notre humanité. »

Par-dessus tout, être en mesure d’établir un contact avec la communauté en les invitant à porter une plus grande attention à ce qui les entoure, c’est d’abord vivre soi-même une relation avec la nature. « Je m’exprime dans la matière, donc je m’exprime souvent en silence, personne ne voit ça. Et puis, ça me nourrit », dit Étienne.

Est-ce que le travail est seulement complété lorsqu’une personne y dépose son regard? « Il faut d’abord vivre une relation avec la nature, avec les éléments. En soi, cette dimension est très satisfaisante. Mais il est certain que l’idée du partage par la diffusion du travail est aussi importante si on veut avoir un impact plus large », mentionne Nadia. « Je pense qu’on a tous envie de partager. Les plus beaux commentaires que je reçois proviennent de personnes que j’ai touchées. Dans ces temps-là, je me dis que l’œuvre a fait son travail », dit Faustine.

La politique et le futur

Prendre conscience de notre relation d’interdépendance avec l’écosystème est un point crucial à l’heure actuelle. Notre relation doit évoluer de manière générale, vers des actions ressenties. Il est parfois choquant de constater les incohérences qui sévissent dans la société. Les artistes peuvent apporter leur vision, en lien avec cette transition d’un mode de consommation excessif à un mode où l’on transforme et innove vers des solutions créatrices pour amoindrir, diluer, voire éradiquer l’excès, l’un de ces jours.

« Il y a de ces artistes qui ont su soulever des débats de société. C’est la meilleure façon d’être en politique sans être député; agir avec ses convictions », souligne Étienne. « Le fait de passer autant de temps sur des choses dites non productives, ou non rentables, est déjà une action révolutionnaire », ajoute Faustine.

Récupérer, cueillir, plier les matières réutilisées, c’est déjà un acte politique en soi. Montrer aux gens comment ils peuvent avoir du pouvoir sur leur vie, en consommant moins, en utilisant les matériaux qui sont disponibles, gratuits et accessibles, tout autour d’eux, c’est la voie de l’avenir. Revenir à la débrouillardise, la créativité, faire avec ce que l’on a entre les mains.

Est-ce que les institutions, les conseils des arts doivent prendre une responsabilité envers l’environnement? « Tout le monde devrait prendre cette responsabilité », mentionne Étienne. « En fait, nous devrions prendre cette responsabilité envers notre lien au monde », affirme Faustine. Quant à Nadia, elle bifurque vers la responsabilité des institutions artistiques à reconnaître le statut de l’artiste comme ayant un rôle social à jouer. « Donner un montant annuel déterminé aux artistes pour créer et enlever la notion de productivité, de commercialité. Les conseils des arts devraient envisager cette direction. »

À ce sujet, l’un des artistes renchérit en mentionnant le projet-pilote de l’Irlande, directement lié aux propos de Nadia. Peut-on rêver qu’un tel projet voit le jour au Québec? L’avenir nous le dira!

Cette discussion-causerie a eu lieu le 8 décembre 2023 et a réuni Faustine Escoffier, Nadia Loria Legris, Étienne Plante, Amélie Lemay-Choquette, Hélène Blais et Kristelle Holiday, dans la foulée du nouveau prix Art + Environnement. Félicitations à Faustine qui fut nommée lauréate le 11 décembre lors de L’Apéro culturel de l’Estrie tenu au Centre culturel Le Parvis. Le prix est offert par le Conseil de la culture de l’Estrie, en partenariat avec le laboratoire agroculturel RURART, l’Université de Sherbrooke et le Théâtre des Petites Lanternes.

Remerciements à Geneviève Kiliko pour avoir mis en mots le résumé de cette discussion.

À propos des 3 artistes

 

Faustine Escoffier,
Lauréate 2023 du Prix Art + Environnement

Faustine est une artiste émergeante pluridisciplinaire vivant en Estrie. Finissante au baccalauréat en beaux-arts à l’Université Bishop’s, elle vient de faire une résidence à l’atelier Presse Papier grâce la Bourse de production Denis Charland où elle a conduit une recherche sur l’utilisation des pigments végétaux en estampe. Elle fait aussi partie du groupe de travail sur les approches écosensibles en arts imprimés à l’Imprimerie à Montréal. Elle a exposé dans plusieurs expositions collectives pour La Biennale du lin à Grondines, à la Maison des arts et de la culture de Brompton (les Jardins réinventés et BIOgraphie), à Art Mûr à Montréal (Nouvelle construction, peinture fraiche). Elle se passionne pour la fabrication de ses propres matières artistiques (papier, teintures, pigments) et a eu la chance de pouvoir s’y dédier pendant deux ans grâce à des bourses pour la recherche avec Regine Neumann, professeure, et au Fond de recherche du Québec. Elle aime aussi partager ses connaissances en gravure, fabrication de papier, livre d’artiste lors d’ateliers qu’elle donne dans différentes structures (Galerie Lachapelle, École d’art Sutton, Ateliers Dufferin).

Faustine Escoffier | Photo: Caroline Vaillancourt

Nadia Loria Legris
Finaliste 2023 

Originaire de Montréal, Nadia Loria Legris vit et travaille à Sherbrooke. Elle est titulaire d’un baccalauréat en études françaises (1998), d’un certificat en arts visuels ainsi que d’un diplôme de deuxième cycle en pratiques artistiques actuelles de l’Université de Sherbrooke (2017). Elle aborde ses projets d’un angle interdisciplinaire où le rapport de l’humain à son environnement tient une place essentielle, sa pratique artistique inclut de nombreux projets relationnels et de médiation culturelle au fil des ans afin de favoriser cette rencontre. Legris a participé à plusieurs expositions individuelles et collectives et à de nombreux projets dans la communauté, notamment à la Maison des arts et de la culture Brompton, au Comité art et culture Jacques-Cartier, à la Maison des arts Saint-Laurent et au Centre en art actuel Regart de Lévis. Elle a, de plus, participé en 2022 à la Biennale des artistes des Cantons-de-l’Est du Musée des beaux-arts de Sherbrooke. Legris a reçu une bourse de la Ville de Sherbrooke pour la réalisation du projet L’Herbier des Couleurs en 2021.

Nadia Loria Legris | Photo : gracieuseté Nadia Loria Legris

Étienne Plante
Finaliste 2023 

Étienne Plante est un artiste multidisciplinaire œuvrant principalement dans les Cantons-de-l’Est. Sa formation académique en ingénierie mécanique contraste avec son parcours d’artiste autodidacte. Il s’inspire d’enjeux sociaux et environnementaux, des écarts de pouvoir entre les humains et de notre relation à la matière. Il explore les procédés de fabrication traditionnels pour contrer la perte du savoir-faire au profit de l’industrie. L’artiste travaille la sculpture, l’installation, la performance et l’art in situ, tout en poursuivant l’intention de prendre part à une expérience artistique dans l’espace public. Son intérêt pour les procédés de transformation de la matière, combiné à son désir de communiquer avec le public, permet à l’artiste d’engager un dialogue avec différentes communautés et de favoriser l’échange d’idées. Il utilise le déchet comme matière première, gratuite, universelle et portant une histoire. Le feu, dans lequel son travail prend racine, constitue un élément alchimique qui lui permet un changement d’état de la matière et du corps. C’est par l’exploration des techniques de fonderie, une révélation majeure pour sa pratique artistique, qu’il connecte la curiosité de l’ingénieur à l’ouverture de l’artiste.

Étienne Plante | Photo : Martin Mailhot