Un article de Pascale Rousseau
Connaissez-vous Gaëtan? Il a un look un peu particulier avec ses tatouages et ses membres crochis par le temps, mais c’est le confident préféré des résidents du quartier Alexandre. Si Gaëtan s’est construit une si belle réputation, c’est pour sa qualité d’écoute indéfectible. Tel un psychologue de rue gratuit, il est installé depuis plusieurs décennies dans un coin du parc Judes-O. Camirand, celui près du trou dans la clôture qui ouvre sur la piste cyclable. Gaëtan a côtoyé plusieurs générations de citoyens de ce bout de Sherbrooke, il les a observés, a recueilli leurs paroles. Certains disent qu’il est détenteur d’une grande sagesse et qu’il a changé – voire sauvé – plusieurs vies.
Si on ajoute que Gaëtan est un arbre, vous penserez sans doute que toute cette histoire est inventée, qu’un conte de fée où les arbres parlent aux humains. Et pourtant, c’est la partie véridique du récit, celle qui a été recueillie par l’équipe du TPL lors des promenades-jasettes du Centro, qui ont servi à nourrir le spectacle Quatre-Quarts. Visitez chez les marchands de la rue Alexandre et questionnez les gens, plusieurs pointeront vers le grand saule du parc en entendant son nom.
Celui qui est sorti de l’imaginaire de l’autrice Andréanne Joubert, c’est Gaëtan l’homme, interprété par le comédien sherbrookois Alexandre Leclerc. Le personnage fictif, homonyme de l’arbre réel, s’est amouraché de ce dernier, après que celui-ci l’ait écouté et conseillé dans un moment difficile. Conseillé, direz-vous? Oui, car grâce à un téléphone accroché à son tronc, l’arbre communique à l’humain dans l’univers imagé de Quatre-Quarts. Andréanne explique : « Je pense que les gens s’attache à Gaëtan car on voudrait qu’il existe pour vrai ce téléphone, ce contact direct avec un être 100% bon. On voudrait pouvoir se confier, se sentir mieux, se sentir compris.e. »
Depuis, la mission du personnage est de protéger le saule, de le sauver d’une coupe prévue par la ville, pour ainsi protéger sa communauté, celle qui souffre trop souvent et qui trouve du réconfort dans ce bout de nature entouré d’asphalte. Pour l’interprète, « Gaëtan s’implique dans la vie de la communauté, il connaît tout le monde et il ne juge personne, il accepte les gens comme ils sont. » Parle-t-il de l’homme ou de l’arbre? Des deux sans doute, car pour les créateurs, les Gaëtan sont des symboles de connexion à l’autre, du grand besoin d’appartenance que chaque humain ressent.
De son côté, Andréanne ajoute : « Gaëtan répond à une envie collective de magique dans le quotidien et aussi peut-être à notre sentiment de culpabilité/responsabilité par rapport à la nature tellement malmenée par les humains. » Effectivement, l’histoire de l’arbre Gaëtan, c’est aussi un regard sur notre environnement et sur l’apport de la nature dans la vie d’une communauté urbaine. Ce rapport un peu ambigu que l’humain entretient avec le vivant, comme s’il était extérieur à lui-même, et qui pourtant lui doit son existence même. La metteure en scène Tamara Brown entrevoit dans la forme d’un arbre, un peu de l’humain. « L’image d’un arbre résonne fortement à l’intérieur de nous tous. Le réseau entre racines, tronc et branches est le même qu’on voit reflété dans nos squelettes, dans nos systèmes vasculaires ou pulmonaires. Justement, les arbres fonctionnent comme des poumons pour la planète au complet! C’est drôle, quand on réfère à nos ancêtres on parle de nos racines! »
Ainsi, on se demande, à la fin de l’histoire, lesquels des deux Gaëtan aura le plus aider l’autre?
Crédit photo : François Serveau + Samuel Enright