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Nous avons finalement réussi à faire asseoir Kristelle Holliday, notre directrice générale et codirectrice artistique, pendant plus de 2 minutes concentrée pour qu’elle nous raconte un peu plus son aventure ISPA du mois de janvier! Son retour ci-dessous évoquera les moments marquants ainsi que les thématiques évoquées importantes à ses yeux : notamment la rencontre et les échanges avec l’autre, les questionnements sur les changements climatiques ainsi que la place des femmes et leur prise de parole dans le domaine culturel.

Pour rappel, ISPA est un réseau de leaders du milieu qui sert à renforcer les arts de la scène à l’échelle mondiale. Ceci se concrétise par le biais de ses conférences et le réseau personnel et professionnel qui se développe et par son programme de fellowships. Kristelle a été élue fellow du Québec dans la cohorte 2019-2021 avec Nadine Asswad de Nadine Asswad Agency et Vincent de Repentigny de La Serre – les arts vivants.

Voici ce qu’elle nous raconte :

« Les histoires que nous racontons sont toutes linéaires, il y a un début, un milieu et une fin, mais les nouvelles et la manière dont on consume notre vie ne l’est pas ». Voici une réflexion, fait par Mohsin Mohi-Ud-din qui, personnellement du moins, ne m’était jamais passée par la tête.

Ce fut cela la beauté de mon expérience ISPA, au mois de janvier à New York. Durant une semaine, qui incluait une journée de développement professionnel pour les boursiers et la conférence biannuelle qu’organise ISPA, nous avons eu le privilège d’entendre les grandes têtes du milieu des arts de la scène mondiale explorer, partager et débattre sur les enjeux d’actualités. Ces philosophes artistiques contemporains qui influencent la forme actuelle et future de notre métier.

La rencontre de l’autre

L’autre privilège, ce fut d’avoir une semaine de temps, en dehors du bureau, pour avoir un véritable aperçu de ce qui se passe chez nos voisins à (l’) échelle mondiale. Au quotidien, on court d’une demande à l’autre, on porte 357 chapeaux, on perfectionne le métier de solutionneurs car la vie d’artiste ou de travailleur(euse) culturel(le) est, somme toute, celle-là…

Alors quand je suis sortie de ma bulle, j’ai pu prendre le temps de découvrir, en premier lieu, le travail incroyable fait par le reste de la cohorte Québécoise (Nadine Asswad et Vincent de Repentigny) et Canadienne (Pascale Joubert, Mhiran Faraday, Sergio Elmir, Leslie Mccue et Nina Patel) et surtout, comment adresser certains enjeux communs, comment travailler ensemble, comment s’inspirer les uns des autres. Ensuite, dans le cadre des présentateurs, nous avons pu écouter Alma Salem, Montréalaise et Syrienne d’origine, une conservatrice et activiste qui trouve toute sortes de manières pour mettre en avant les artistes syriens, incluant la création d’un espace virtuel, Syria Sixth Space. Ou même Kevin Loring, premier directeur artistique autochtone du Centre National des Arts du Canada, qui a abordé avec finesse la question de comment nous pouvons avancer ensembles, post-Kanata. J’ai pu élargir ma bulle encore plus, via d’autres continents. Nous avons entendu des histoires qui ont laissé le public scié en deux, comme Faisal Kiwewa du Kampala International Theatre Festival en Uganda qui a littéralement acheté une ile pour assurer la survie de son festival et qui a dû gérer les périples des serpents, construire un pont, transporter l’équipement de production sur des canots etc.

La notion de 100 jours de réflexions fut amenée par Nazli Tabatabi-Khamtambaksh, l’une des autres fellows du groupe, une metteure en scène Iranienne- Écossaise. Avec une intelligence poétique de toute beauté et (pleine de) sagesse, elle nous a amené tout au long de la semaine à explorer la notion de 100 jours de réflexions dans une année, une chose qu’elle met en place pour elle-même cette année. Comment, dans une pratique, nous pouvons utiliser des techniques pour nous permettre de créer des espaces pour alimenter notre réflexion et notre démarche artistique?

L’urgence de l’action, l‘accès, l’équité, l’inclusion et la représentation furent des thématiques centrales dans les discussions. Il paraissait qu’il y ait un sentiment généralisé que l’art de nos jours ne peut pas vivre en silo, qu’elle ne peut pas être seulement une marque esthétique. Elle a besoin de parler avec et non pour, sans jamais renier à l’excellence artistique en soit. Santee Smith, directrice artistique de la compagnie Kaha’wi Dance Theatre nous a dit « qu’avec la liberté artistique vient la responsabilité ».

Les Changements climatiques

Ce ne fut pas une semaine remplie de paillettes où les gens étaient d’accord sur tout. Nous avons débattu sur la technologie, et ce qu’elle peut constituer comme menace pour les arts vivants. Maria Hansen, directrice exécutive du réseau académique des arts en Europe nous a permis de discuter sur l’empreinte carbone dans notre milieu, notamment l’utilisation d’avions… Allons-nous continuer à voyager via de longues distances dans le futur? Devons-nous avancer dans des créations en sachant qu’elles ne vont pas tourner? Comme milieu, et à travers toutes nos disciplines, comment est-ce qu’on se place par rapport aux changements climatiques?

Les femmes

L’une des dernières séances fut un genre d’atelier-conférence qui s’appelait le « Long table ». Une modératrice et trois autres participant/es étaient autour de la table. Ils débattaient autour d’un sujet préétabli. Les conférenciers et conférencières étaient invités à se lever et participer à la discussion. Il y avait des chaises libres et c’était premier arrivé/e, premier servi pour prendre la parole. Les gens ont commencé à se lever, après quelques interventions, Nazli, la metteure en scène mentionnée plus haut, fut la première femme à se lever et participer à la discussion. Et ensuite un homme et un autre homme, et un autre homme. Vous voyez où je m’en vais. J’étais assise à voir cela et me dire au fond de moi : « allez les femmes, levons-nous, osons prendre la parole! » Et puis personne. J’ai finalement eu ce courage de m’exprimer et aller à la table pour attendre mon tour, mon estomac en nœuds, avec l’idée de partager une réflexion devant cette salle remplie de cerveaux. Et puis, la modératrice a dit : « il reste 2 minutes, vous avez 30 secondes chacun/es ». La panique!

Et la question : Que vais-je faire avec cela? Comment est-ce que je vais condenser mes pensées déjà élaborées à un misérable 30 secondes quand ce que je voulais c’était d’explorer une idée, poser des questions. Il restait 3 hommes devant moi…Les uns après les autres, ils ont parlé. Finalement, je me suis dit, à quoi ça sert? Je ne vais pas parler pour parler, il ne reste pas assez de temps, la modératrice veut terminer la séance, les gens veulent partir, alors j’ai passé mon tour. Il restait un homme après moi. Lui, il a pris la parole. Dans cette mer d’hommes, intelligents et qui avait certainement des choses à dire, il y a eu finalement une seule femme qui a fait entendre sa voix. Je suis sortie de la salle et des personnes sont venues me voir « pourquoi que tu n’as pas parlé? » « On voulait vraiment qu’une deuxième femme parle » « bien sûr que c’est la femme qui va être polie et laisser faire son tour ». Cela a provoqué des minis discussions afin d’essayer de voir, comment est-ce que ça fait, qu’en 2019, on ne se sente pas encore capable de prendre toute notre place? À qui la responsabilité d’assurer qu’on prenne notre place? Bien sûr, ce n’est pas seulement à ISPA. Mais, est-ce que nous avons peur d’être trop gourmandes? Est-ce que nous ne voulons pas trop demander? Est-ce que nous ne voulons pas trop déranger? Est-ce que nous pensons ne pas être à la hauteur? Être jugées? Pourquoi, dans une salle remplie de femmes brillantes, il y en a seulement une qui a pris la parole? Et j’ai continué cette discussion de retour à Sherbrooke. Dans les semaines qui ont suivies. Et cela va continuer dans les mois à venir. Et, peut-être, lors de la conférence ISPA en janvier 2020, nous aurons fait un petit pas de plus.